Le deuil de mon expression

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Le deuil de mon expression

Cela fait maintenant six (6) mois, jour pour jour, que j’ai dansé avec quelqu’un que je ne connais pas et que je risque de ne jamais recroiser ! On était alors plus de 15 000 passionnés de danse et de musique latine rassemblés dans un stade.

Je passe et repasse ces moments où avec notre équipe, nos danseurs et nos élèves, nous avons partagé le plancher de danse sans aucune crainte ni aucune peur. Je n’arrête pas de penser au jour où j’ai laissé tout tomber, et non sans risque, pour vivre de ma passion : ouvrir une école de danse, enseigner et partager ce plaisir qu’est danser !

Je n’arrête pas de penser à ces moments où nous, les directeurs d’écoles, avons cru, au début de cette pandémie, que c’était l’espace de quelques semaines et que le tout reviendrait à la « normale » !

Je n’arrête pas de penser au jour où j’ai dit « si on est passé au travers de la crise économique de 2008, on passera au travers de ce virus… il suffira d’être patient… » Mais, au bout de 6 mois et en pleine rentrée…

Comment peut-on être patient, lorsqu’on voit des restaurants opérer avec moins de 2 mètres entre les tables, même si cette mesure est requise ?

Comment peut-on être patient lorsqu’on peut aller manger au restaurant avec nos amis à moins de 2 mètres, mais ne pas danser avec eux?

Comment peut-on être patient, lorsqu’on voit que l’on autorise la danse en couple en plein air entre personnes qui n’habitent pas la même adresse, mais que ce n’est pas autorisé en classe, dans une école de danse et dans un environnement structuré, organisé, sécuritaire avec toute la traçabilité possible ?

Et plus que tout… Comment peut-on être patient lorsque les sports de combat sont déconfinés, mais que la danse en couple ne l’est pas ?

Comment expliquer à nos élèves que Santé Montréal permet l’organisation d’événements sporadiques sans imputabilité et sans traçabilité alors que nous ne pouvons pas les recevoir dans les conditions sanitaires exigées par la santé publique du Québec dans nos écoles de danse ?

Comment expliquer aux couples qu’ils ne pourront plus suivre de cours, et ce, même s’ils sont ensemble depuis bien longtemps, parce qu‘ils n’habitent pas la même adresse ?

Et même si…

J’ai beau me dire que le gouvernement sait ce qu’il fait et veut contrôler l’évolution du nombre de cas et d’hospitalisations. Je comprends et je ne voudrais pas être à la place d’aucun ministre aujourd’hui.

Je reste quand même sans voix…
Lorsque nos questions restent sans réponse…
Lorsque j’entends que des écoles ferment leurs portes après des années d’existence.
Lorsque je vois tous les sacrifices et concessions que nous, les directeurs, les fondateurs et les équipes de danse, avons faits pour mettre en place des écoles reconnues et qui répondent aux besoins de milliers de danseurs à travers le Québec.
Et surtout, lorsque je vois que nos conditions sont très peu considérées dans le déconfinement !

Alors oui, je suis en deuil…
En deuil de mon expression, car mes élèves ne peuvent pas danser avec d’autres.
En deuil de mon expression, car la danse est dans une craque.
En deuil de mon expression parce que la danse, qui a été là pour mettre du bonheur dans la vie des gens pendant la pandémie, doit encore attendre et qu’elle est laissée pour compte
dans la relance des activités de loisirs.
En deuil de mon expression, car je dois voir mon entreprise qui a tellement à offrir devoir faire autrement au risque de perdre son essence.
En deuil de mon expression, car comme l’a si bien dit Marie-France Bazzo : « nous reprendrons les rênes de nos vies en laissant derrière nous et pour longtemps… ceux et celles qui nous définissent et nous donnent une voix. »
Elle avait raison !

 

Par
Ilham Rouissi
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