Danse traditionnelle : ne pas confondre tradition et Histoire ! — Entrevue avec Charlotte Kelly

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Danse traditionnelle : ne pas confondre tradition et Histoire ! — Entrevue avec Charlotte Kelly
Crédit photo: tissés Serrés - Jean-Philippe Vézina
Rédactrice : Charleyne Bachraty

La danse traditionnelle, telle qu’on se l’imagine, ce sont des gens qui dansent dans des veillées, le sourire aux lèvres, les deux pieds dans le moment présent et sur le rythme ! Mais on a aussi souvent tendance à enfermer ce style dans un carcan historique et à penser que – comme un témoignage ancestral – il reste figé dans le temps. Pourtant, s’il y a bien une danse tournée vers l’avenir, c’est bien la danse traditionnelle ! Et qui mieux que Charlotte Kelly, danseuse et directrice générale de la troupe Tissés Serrés, pour nous parler de ce patrimoine vivant, de son ouverture à d’autres disciplines et de son inclusivité.

 

 

 

Quand on sait d’où l’on vient…

Comprendre et danser la danse traditionnelle, c’est effectivement, avoir quelques notions de son histoire. Une fois que l’on a pris conscience de la richesse culturelle qui lui est associée, on ne peut qu’avoir envie qu’elle perdure et qu’elle évolue avec son temps. Comme le dit si bien Charlotte : « On confond souvent tradition avec Histoire, avec quelque chose de figé, or la tradition, ça ne devrait jamais être figé. C’est vivant. Pour moi, si l’on se fit seulement à telle collecte, dans telle vidéo, et si l’on veut absolument recréer ce que l’on y voit, ce n’est pas traditionnel, c’est de la reconstitution historique ».

Et donc, d’où vient la danse traditionnelle québécoise ? C’est le résultat d’un mélange culturel français et britannique, avec quelques influences de l’Europe de l’Est, qui est arrivé au Québec avec la colonisation. La gigue d’ailleurs est une danse de pas très rythmée des îles britanniques (Irlande, Écosse, Angleterre). L’apport de la France se retrouve surtout dans les chansons et dans certaines danses de figures comme le quadrille. Quant aux sets carrés – ceux qui sont câllés – on les doit aux États-Unis. Eh bien, quel plaisir d’en savoir un peu plus sur vous, chère danse traditionnelle !

Ce mélange est à l’origine de ce qui se fait aujourd’hui. Mais qu’est-ce qui se fait aujourd’hui exactement ? On parle des danses de figures, qui regroupent les sets carrés et les quadrilles donc, mais aussi les cotillons et les contredanses. Et la gigue, c’est la catégorie de la danse traditionnelle la plus show-off, et certainement la plus connue. Et bien sûr, chaque province et chaque région du Québec a ses spécificités.

Mais ce qui caractérise surtout la danse traditionnelle, c’est l’aspect collaboratif, et le fait que l’on se touche, surtout dans les danses de figures, que l’on pratiquait au quotidien ou dans les grands événements de la vie. Ouh que l’Église n’aimait pas cela à l’époque ! « Les gens se touchaient sans être mariés, et c’était même une façon de cruiser, de faire savoir à la personne qu’elle nous intéressait par un petit mouvement de doigt sur le poignet », nous explique Charlotte. Pas surprenant alors que son mouvement préféré soit la grande chaîne : « Avec ce mouvement, on rencontre à peu près tout le monde et pour qu’il fonctionne et qu’il procure une grande satisfaction, on a vraiment besoin de tout le monde ! ».

Durant la pandémie, c’est bien évidemment cette absence de contact humain qui a joué sur le moral des danseurs et des danseuses. Charlotte nous rassure : les veillées ont bien repris et de manière générale, les gens ne craignent plus de se toucher et de reprendre goût à ce qui fait l’essence même de la danse traditionnelle.

 

Sortir la danse traditionnelle de Noël et des cabanes à sucre

Un jour, Charlotte a vu Riverdance à la télévision et d’après ses parents, cela a été l’élément déclencheur ! Elle débute dans l’École Les Sortilèges à Montréal, avant de rejoindre Les Pieds Légers de Laval. Parallèlement, elle étudie à l’université Laval en Ethnologie et patrimoine – un heureux hasard selon elle - car elle ne pensait pas que la danse prendrait une aussi grande place dans sa vie et dans sa carrière. Avec son expérience et sa connaissance, pas étonnant qu’elle puisse nous parler de l’évolution du style.

Commençons avec les costumes : « Il y a un gros débat là-dessus ! nous confie Charlotte. Des recherches ont été faites et présentent des costumes pour une région donnée, pour une époque donnée. C’est une image d’un moment précis, et ça a été interprété pour dire que l’on allait tous s’habiller comme ça pour représenter la Beauce par exemple, mais on sait que dans la pratique, cela aurait été mal vu de danser avec la même tenue. ». S’il est possible de voir des costumes dans certains en spectacle, les danseurs et danseuses se produisent davantage en vêtements de tous les jours, qui se prêtent beaucoup mieux aux mouvements modernes que les jupes, jupons et tabliers.

Parlant de jupe, qu’en est-il des hommes et des femmes dans la danse traditionnelle ? Historiquement, les hommes et les femmes ont toujours dansé ensemble, notamment en couple dans les sets carrés par exemple. « Aujourd’hui, plusieurs personnes ont arrêté de dire hommes et femmes lorsqu’elles câllent une danse. On essaie de s’éloigner de l’aspect binaire de la chose, parce que ça ne correspond plus à la réalité, et puis ce n’est pas vraiment nécessaire de faire cette distinction ! ».

L’intérêt pour les autres formes traditionnelles est aussi au cœur de cette vision plus contemporaine du style : chanson, conte, savoir-faire artisanal… Ratisser plus large que la danse traditionnelle, c’est rendre sa juste place à tout ce qui fait le contexte culturel, et ça, c’est important pour Charlotte et toute la communauté trad. 
Ouverture, inclusivité, diversité : les valeurs de la danse traditionnelle raisonnent parfaitement dans le monde des jeunes qui se lancent dans cet apprentissage. Pour Charlotte, leur donner les clés pour comprendre ce monde et pour que ça ait du sens, notamment avec le projet Passeurs de traditions, c’est primordial « Sans ça, ça va mourir !, confie -t-elle. Faire comme avant, ce n’est pas pertinent. Il faut penser à plus long terme, changer les pratiques, réactualiser, ne pas mettre de pression sur les personnes qui débutent, car il y en a tant à connaître… Et sortir du cliché un peu quétaine de la cabane à sucre, afin que les gens puissent concevoir que c’est une danse plus délicate, subtile, organique, qui s’imbrique beaucoup plus dans le quotidien que ce que la Soirée canadienne nous montrait ! ».

Et pour commencer à déboulonner les clichés, sachez que le rigodon, gang, c’est une danse originaire de France, pas du Québec !

 

 

 

Pour connaître les écoles de danse qui offrent ce style, rendez vous sur le répertoire.

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